Armée d’Armistice, occupation et antisémitisme …des documents !

Bonjour à tous,
Voici un ensemble de 25 correspondances qui, après lecture, incroyablement riches en élements sur l’histoire de France, et surtout une mine d'information particulièrement condensée sur l’occupation du Bourget et sur la fin de l'armée d’Armistice, et parfois difficile à lire de part la nature du texte…. Tout se passe entre le 10.10.1942 et le 06.12.1942.Il s’agit d’un élève officier à la base aérienne du Bourget du Lac, Je vous laisse lire quelques unes de ces lettres que j’ai tapé pour que cela soit plus facile à lire et sans commentaire ni censure...
J’ai masqué les noms en raison de la nature politique du contenu et par respect pour l’anonymat, je pense que cela peut se comprendre !

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Première lettre, c'est la joie et l'abondance ! aucune restriction!! :
« Chers parents, 10.10.1942
Je suis arrivé depuis hier à Chambéry, et je ne peux que m’en réjouir. Tout ce que j’avais amené reviendra intact : si tu pouvais voir comment je suis, tu te réjouirais, Jean Maillard est battu maintenant. On nous a pris les mesures pour l’uniforme et la gabardine, j’ai touché un cure-dent tout mignon et une jolie casquette. Nous sommes en tout sept, et la vie que nous menons est magnifique. L’école est dans un décor enchanteur, à deux-cents du lac du Bourget, au village de le Bourget-du-Lac. Nous sommes à mi-chemin de Aix-Les-Bains et Chambéry à quelque huit km. de ces deux villes. L’école est toute neuve et beaucoup de bâtiments achèvent de se construire. Nous sommes logés dans des chambres à deux lits, deux par chambre, avec lavabo, armoires et tables-bureau, table de nuit. Le paysage est unique : de mon lit par la fenêtre ouverte, la Dent du Chat nous domine , toute proche. En face, pas très loin est le massif du Renard, avec un téléférique et le champ de ski. Dans le lointain on aperçoit sous le chaud soleil qui nous éclaire les massifs neigeux de la Grande Chartreuse. Il est impossible de trouver les mots qui peignent exactement ce que je ressent : le spectacle est splendide, unique. J’avais encore beaucoup à vous dire, mais je manque de place. Mon estomac est soumis à un ordinaire double de chez nous, a qualité égale. Je ne manque de rien, la vie est magnifique ! Bons baisers à tous, à bientôt de vos nouvelles. Jean."

"Cher papa, Le Bourget du Lac, 29-10-1942
Je t’écris à toi spécialement, car je crois que tout le monde me laisse dans la famille. C’est en effet la quatrième carte que j’envoie à la maison. Enfin passons ! La vie que je mène ici n’a rien de comparable à celle que vous continuez de subir chez nous. Nous avons une foule de journaux, et de revues très objectives. Le pays en entier respire la franchise et la santé, quoique la population soit en générale assez serrée du fait des restrictions, plus rigoureuses que partout ailleurs (excepté la region de Chambéry, riche petite plaine agricole et viticole). On remarque cependant une hostilité aux Juifs plus grande encore, si c’est possible, à la nôtre, car ce sont d’enragés traficants du marché noir, pour qui l’argent ne compte pas. Quelques-uns sont déjà internés, et c’est tant mieux pour nous, sur ce point nous sommes bien d’accord. Nous sommes entre Français de France, et tous les barbards de la radio dissidente ne sont pas écoutés : c’est d’ailleurs ce qui font les francais sensés, et il en reste ! A ce propos si tout marche bien je serais peut être sous lieutenant d’ici six mois et je demanderai l’afrique occidentale francaise. Je te quitte, mon cher papa, et espérant que toi et toute la famille sont bonne santé. Je suis phyisiquement mieux qu’au départ, et le moral est resté celui que tu m’as appris à aimer : la vraie France, celle de demain ! Tu m’as compris. Je t’embrasse, et maman et la gamine. Ton fils Jean."

Lettre très interessante...c'est la date de l'opération Torch...on y voir les prémices de la fin pour l'armée d'Armistice !

"Chère petite maman, Le 07.11.1942
Je viens de t’écrire, la carte est partie ! et je viens brusquement de penser à ton anniversaire : je t’envoie tous mes vœux. Je viens d’aller souper, comme un ogre, et je ne vais pas tarder à aller me coucher, il est presque neuf heures et….
Chère maman je reprends ma lettre dimanche matin : la lumière s’est subitement camouflée, nous sommes en alerte générale qui a duré jusqu’à 3 heures ce matin. Au bruit que j’ai entendu en l’air il y avait pas mal de (? ?) volant vers la haute Savoie. Ce matin le camp est consigné, les nouvelles sont mauvaises. La (Tersef ?) a du te renseigner à ce sujet. Nous ne savons rien absolument, mais il est possible, quoi qu’il arrive, qu’on ne moisisse pas longtemps ici. L’effet de la piqure à complètement disparu ce matin, et je vais aller tout à l’heure écouter les nouvelles au foyer. Tu peux toujours jusqu’à nouvel ordre m’envoyer le colis de bouquins, car rien ne prouve que je n’en aurai pas besoin. Le moral est excellent, c’est d’ailleurs le reflet du physique ; la barbe, c’est de rester dimanche au camp, mais l’amusement ne manque pas. Quand tu recevras cette lettre, nous saurons tous à quoi nous en tenir, mais en attendant le ressentiment contre les Britanniques est de plus en plus violent. Je te quitte, chère maman, en te renouvelant mes vœux d’hier pour un heureux anniversaire. Je t’embrasse, et toute la famille en même temps. Ton fils qui pense à toi. Jean.

"Chère petite Mimi Le Bourget du Lac, 11 Novembre 1942
Je reçois ta dernière lettre ce matin, et je te remercie de ces nouvelles, ainsi que des petits mots de chacun, en particulier de Gilles : si m’écrire ne l’effraie pas de trop, il pourra en mettre un peu plus. Ce matin du 11 novembre, le temps est sombre et froid, vrai temps à neige. Nous avons eu tout à l’heure une prise d’arme associée au salut des couleurs de la commémoration du souvenir de la grande guerre. En cette occasion, nous les eleves officiers, avons pretés serment de fidélité en notre chef, acte qui revetait une certaine gravité en rapport aux circonstances. Après son discours aujourd’hui, nous sommes prêts à marcher jusqu’au bout avec lui ! la semaine précédente a été fertile en éléments de toute sorte. Dont plus que quiconque nous somme appelés à subir les contre-coups. Le moral est excellent en dépit des mesures de sécurité obligatoires . Je ne compte pas revoir la Marne avant longtemps, sauf imprévu. Je suis content de voir que tout marche bien pour toi, pour moi le présent est riant, l’avenir est dans le néant mais la paité persiste : le jeu et le bar du foyer y contribuent. Tu demanderas à Mistinguette si la paité est un signe avant-coureur de folie, en lui transmettant mon cordial souvenir. Je t’embrasse […]. Jean"

Fidélité au Maréchal :

« Cher papa, Le Bourget, 13 Novembre 1942

En même temps que je t’écris à toi, je poursuis la lettre adressée à maman. Comme la radio te l’annonce, tu dois voir notre désarroi. Nous sommes coincés sans grand espoir de servir à quelque chose. De plus nous ne pouvons rien faire, pour se battre il faut les munitions qui alimentent les armes et nous n’avons rien. Notre capitaine chef de brigade nous a dit au rapport d’aujourd’hui que nous autres militaires nous n’avons pas à hésiter dans notre conduite : nous avons prêtés serment et nous tiendrons notre parole. Je comprends maintenant la politique du Maréchal, elle émane d’un vrai Français. Jusqu’à présent, nous sommes libres, autant qu’on peut l’être quand les esprits sont en ébullition. Quoiqu’optimiste autant que je le puis, l’avenir se présente sous mal pour moi. J’avais une carrière admirable, j’ai peur de la voir se briser. Je t’envie, bien qu’ayant fait quatre ans l’autre guerre, tu n’as jamais enduré un pareil supplice : nous sommes pieds et poings liés , à recevoir les coups sans les rendre. Vivement la fin, de la guerre d’abord, de nos ennuis ensuite. Si je pouvais y contribuer ! Si ca continue, attendez vous à me voir revenir. […] Jean.

"Chère maman, Le 17.11.1942
J’attends avec impatience de tes nouvelles, je voudrais savoir ce que vous devenez là-bas. Pour nous tout remarche bien. A part la consigne continuée au camp. L’optimisme est revenu, les mauvais jours ne peuvent pas durer longtemps. Tant que j’y pense, fais-moi envoyer sur carte interzone un extrait de casier judiciaire, le plus rapidement possible : je te remercie d’avance du dérangement. La neige a commencé à tomber sur le mont Renard dans la journée, la période de ski est proche ! je remplace avantageusement les sorties du dimanche par le sport, et le physique est merveilleusement bon : je fais même de la boxe, non pas pour encaisser les coups mais pour savoir les parer. Les nouvelles que tu me donnes de la région concernant les départs ne me surprennent pas il fallait s’y attendre _ Ici nous sommes tranquilles jusque maintenant quoi que nous ayons étés a deux doigts d’etre occupés. La Savoie, telle que je me l’imagine depuis le Bourget du Lac, est presque un pays de Cocagne : malheureusement elle est infestée d’étrangers en particuliers de Juifs qui ont fait doubler la vie par la pratique intensive du marché noir. A la base nous mangeons toujours très bien, la viande est une habituée de chaque repas, et nous ne manquons que du gruyère, avec cela des nouilles au moins trois fois par semaine, assez souvent des poids cassés, et aussi des macédoines de légumes, et quelques chose que le cuistot prépare admirablement bien…[…]Jean "

Cher Papa, Le 24.11.1942
[…] Nous avons un temps magnifique qui rappelle le climat polaire, avec depuis deux jours un temps effroyable. […]. Ici rien à signaler, la vie est normale : ah si, j’ai piloté pour la première fois une HO2, avec six types dedans, et je te prie d’y croire qu’ils n’en menaient pas larges. Je leur ai fait prendre un virage sur les chapeaux de roues impeccable, de telle façon que l’adjudant moniteur à cru devoir me faire remarquer qu’il avait des enfants ! Au bout de quelques leçons je passerai mon permis militaire de conduite de poids lourds et tourisme. […]. Jean

La fin de l'armée d'Armistice :

"Chers Parents Le 30.11.1942
C’est fini, je reprends la vie civile. Comme nous sommes à peu près fauchés (les trois copains et moi de la zone occupée), nous sommes nourris et logés a la base en attendant un laisser passer. Le moral est bon puisque le physique se maintient. J’arriverai chez nous dès que je le pourrais. […] Jean."

La dernière envoyée, remarquez l'abattement entre la première et la dernière...

"Chers Parents Le 03.12.1942
Encore une fois les éléments se sont précipités, bouleversant tous mes projets présents et futurs. Je suis extérieurement civil mais en fait je suis affecté à la base pour liquider (on liquide et on s’en va !) et ce pour des raisons pécuniaires, il m’aurait été impossible de tenir avec mon salaire de novembre en poche. […] J’ai voulu avec mes trois copains, retourner chez nous , mais notre capitaine nous a repris nos fiches de démobilisation, pour nous faire affecter à la base comme spécialiste de 2ème classe : en fait de spécialiste nous avons fait les déménageurs , mais ce soir c’est fini. Le colonel , qui veille paternellement sur nous quatre, et notre capitaine, qui s’avère de plus en plus chic, s’oppose formellement à notre départ en vacances, et de plus en plus je les comprends. […] Le Maréchal à dit : je n’ai qu’un idéal, sauver la France. Je vous embrasse bien fort. Jean."

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