Histoire peu connue : un ancien capitaine de la KM décoré de la légion d'honneur

Bonjour

C'est un peu long, j'espère que certains auront le courage de lire jusqu'au bout en cette presque date anniversaire du naufrage.

Tout commence par un drame survenu le Le 19 mai 1943. Un paquebot dirigé par le Commandant français QUĖRĖ, commandant de bord du H.M.S. Général BONAPARTE (2795GRT), (armé par les allemands), quitte le port d’Ajaccio en Corse, il transporte à son bord 199 passagers, 68 hommes d’équipage et approximativement 350 tonnes de diverses marchandises entre Ajaccio et Nice. Le navire navigue sous pavillon français.







Les italiens exigeaient que les navires embarquent à chaque fois un détachement armé de soldats italiens, afin d’éviter que navires et équipages ne passent du côté des alliés. Le Général Bonaparte dispose de pièces d’artillerie sur ses plages avant et arrière, les soldats italiens armant ces canons.

Ce bateau croisera malheureusement la route du sous marin britannique de classe S3, le SPORTSMAN » Prenant number P229 de la Royal Navy



40 miles (70 km environ) de Nice, vers 14h00, il est atteint par deux torpilles lancées par le sous-marin anglais Sportsman. Il coule rapidement en quelques minutes .

Quelques témoignages de survivants :

"Un trou dans le plafond, par lequel on pouvait voir le jour, était le miracle. L’explosion avait soufflé un treuil qui laissait un trou béant. Au-dessous, les débris de bois, de métal, s’étaient entassés et formaient un monticule. En montant dessus on arrivait à poser les mains sur les bords du trou et à gagner le pont. On se précipita vers ce secours inespéré.
Une jeune femme mettait tous ses efforts à se hisser. Du sang coulait de son visage. Son compagnon la tenait enserré dans ses bras et la poussait. Plus tard, elle raconta que le pont était désert. L’arrière du bateau était enfoncé dans l’eau qui venait de s’étaler sur le pont, et pêle-mêle des morceaux de mât, des planches, des débris de toues sorte, des cadavres, flottaient à la dérive. Elle ne savait pas nager. Elle attrapa une planche et s’assit dessus, puis elle s’éloigna du bateau en ramant avec les mains.

Un craquement prolongé fit vaciller le bateau. Des cloisons s’écroulaient, des poutres tombaient lourdement et s’immobilisaient en se croisant. Le bateau avait des soubresauts. L’eau montait et faisait un lac sur le plan incliné. La peur saisissait les cœurs. On se bousculait. Les plus forts repoussaient les faibles. On se précipitait pour atteindre les premiers la brèche qui donnait accès sur le pont. On s’engouffrait dedans. Qui jetait un bras, qui avançait la tête, qui glissait une épaule. La confusion grandissait. Ceux qui se trouvaient derrière s’agrippaient à ceux qui étaient devant. On ne pouvait plus avancer ni reculer. Ils coulèrent avec le bateau. Debout, adossé à la coque un prêtre lisait un bréviaire. Il était breton. Dans un coin, à demi couchée, une jeune fille agonisait, la poitrine défoncée par un éclat de table. C’était un professeur. Elle avait obtenu sa mutation sur le Continent.

Les cloisons qui limitaient les secondes classes étant tombées, on pouvait voir dans le ventre du bateau. La salle des machines était un amas de fers tordus qui s’enchevêtraient dans des tôles et des poutres fumantes. La torpille avait fait des brèches sur le flanc de la coque, en plusieurs endroits. Le compagnon de la jeune femme s’engouffra dans une de ces brèches et réussit à sortir du bateau."

ou encore :
"’ai vécu, monsieur, deux minutes qui m’ont paru une éternité. Sous le choc le mât avant se rompait et s’abattait, entraînant dans sa chute un amas confus de câbles, de cordages, d’anneaux, blessant des hommes de manœuvre qui prenaient du repos dans la hune du pont. Le bateau n’avait plus de gouvernail. L’eau entrait en tourbillonnant par un trou béant fait à la coque, inondant la chambre des machines. Aux étages supérieurs, il était impossible de n’y rien reconnaître. On aurait dit qu’un ouragan avait passé là. Les portes des cabines étaient bloquées par les éboulements. Le pont promenade dénudé – des planches arrachées du parquet – les bastingages n’étaient que débris.
Voyez-vous, le plus terrible, n’était pas le spectacle de ces ruines, la destruction du bateau, mais la vision obsédante des scènes folles qui ont eu lieu. Des cabines emmurées par les éboulements, montaient des cris, des appels au secours, coupés par des hurlements qui n’avaient plus rien d’humain. Sur le pont et dans les couloirs, des gens couraient avec des gestes désordonnés. Certains prenaient une piste puis l’abandonnaient pour en prendre une autre qui n’était pas meilleure. Il y en avait qui croyaient voir une ombre, entendre une voix, là où il n’y avait rien. Mais le pire, monsieur, s’est passé sur les canots de sauvetage. C’était la cohue. La peur égarait les esprits. Hommes, femmes, enfants, se ruaient à la curée des places, avant même que les canots fussent à la mer. On se poussait, on se jetait les uns sur les autres. Les embarcations tanguaient au bout de leurs amarres. A un moment, une forte secousse du bateau les fit basculer, et beaucoup de personnes passèrent par-dessus bord. La plupart se noyèrent. Voyez-vous, monsieur, même en ce moment où je vous raconte ces choses qui se sont passées, il me vient des angoisses dans le cœur"


Suite de la tragédie :

Deux canots peuvent être descendu à l’eau, ainsi que de nombreux radeaux.
2 Torpilleurs de la marine allemande les TA 10 (ex Nav. Français L’Iphigénie) et TA 11 (ex Nav. Français La Pomone) Commandé par le Kpt LOERKE, ralliant La Spezia, Italie à Toulon en France, perçoivent le drame qui se déroule et récupère 140/145 survivants (les chiffres fluctuent suivant les sources. Le Commandant QUĖRĖ décède lors de ce torpillage. (En son souvenir, le 13/07/1948, entrera en service un nouveau paquebot nommé : « commandant QUĖRĖ ».
Le « Général BONAPARTE » (2795GRT) viens d’être couler, 43°01’N / 07°40’E,
par le sous marin anglais « SPORTSMAN » commandé par le Lt. GATEHOUSE, c’est sa première mission.

Ci-dessous le navire TA11 ex Pomone commandé par le Kapitan Konrad Loerke :



Ci-dessous Le TA10 ex Iphigénie



Pendant le sauvetage, un des 2 navires allemands a grenadé tout autour de la zone pour dissuader le sous marin de les attaquer, faisant croire aux naufragés que les marins d'Outre Rhin venaient "finir" le travail, d'où une profonde confusion et des minutes supplémentaires d’effroi pour les malheureux.

L'artisan de ce sauvetage fut le Kapitan Loerke que les britanniques ont voulu faire condamner après guerre (en novembre 1946)  comme criminel de guerre. Accusation abandonnée grâce aux témoignages des survivants .

Photo du capitaine prise sur le contre torpilleur Z39 (seule photo que j'ai pu trouver de l'homme l'époque)



Propagande allemande suite aux évènements :



En rentrant à Toulon avec 147 survivants , français et italiens, Loerke aura cette phrase : "Fait de guerre : Un Paquebot français avec une garde italienne, torpillé par un sous marin britannique; Les survivants sauvés par des allemands sur des torpilleurs français..."





Bien après la guerre et après que Loerke fut lavé de toute ignominie , le 15 février 1959,  l'amiral français Henry Nomy, chef d'état major de la marine française, entouré d'une douzaine d'autres hauts gradés et de représentants de l'allemagne fédérale, reçoit en grande pompe et avec les honneurs militaire, l'ancien Kapitan Loerke pour lui remettre l(ordre de la légion d'honneur, apposée juste à proximité de sa croix de fer !





Konrad Loerke est décédé Buschhoven (Bonn) en 1975 à l'age de 67 ans

Ironie de l'histoire :Le sous marin Sportsman fut transféré en 1951 à la Marine Nationale Française et rebaptisé F.S. « SYBILLE », il disparu le 23 sept. 1952 en Méditerranée 38 miles à l’Est de Toulon, en plongée entre Cannes et les îles de Porquerolles, emportant 47 hommes d’équipage.





Voilà, j'ai essayé de résumer....pas simple....

Bonjour,
Je ne connaissais pas ce fait de guerre, merci pour ce résumé très plaisant à lire.

Bonjour,
tragique histoire, je ne connaissais pas, merci
Cordialement.

Bonjour
Emouvant témoignage, merci du partage
Salutations
Gmc

Bonjour,
Une histoire tragique et plus que méconnue, qui pourrait faire un scénario de film !
Amicalement,
Grincheux

Bonsoir

Récit très intéressant - merci !

Une petite question : pourquoi Her Majesty Ship Général Bonaparte ? Navire de prise ?

Encore merci et bonne soirée

LP

Re

Merci de votre intérêt
Oui HMS est surement erroné puisqu'il s'agit d'un navire français...J'ai mal retranscrit .

Bonjour
Sauvetage en mer, tradition maritime

ohh ça ferait un tres bon film.... jolie histoire

steph

Bonjour
Merci pour ce récit, une histoire qui m'étais inconnue.
Effectivement le sauvetage en mer est une tradition bien heureuse.
Cordialement

Bonjour.
Grand merci pour cette histoire, et ce sauvetage
Cdlt

Bonjour.

Excellent ce récit historique.
Rare dans les annales WWW II, un officier Allemand décoré de la Légion d'Honneur.
Félicitations pour ces recherches iconographiques et merci du partage.
Cordialement.
JP

Hello
Une histoire de sauvetage peu banale ! Merci pour ce reportage riche et très instructif!
Bel exemple de solidarité entre marins!
Amicalement.
Val

Bonjour, un récit très sympa, et vraiment bien documenté
Cordialement,
Bosco.

Bonjour

Merci de tous vos commentaires bien sympas et qui permettent la mise en lumière d'un héro méconnu et pourtant tant méritant.
La lecture et les recherches sur ce sauvetage m'avait il faut dire ému et j'avais souhaité vous en faire profiter.

113RI a écrit:

[…] Bien après la guerre et après que Loerke fut lavé de toute ignominie, le 15 février 1959,  l'amiral français Henry Nomy, chef d'état major de la marine française, entouré d'une douzaine d'autres hauts gradés et de représentants de l’Allemagne fédérale, reçoit en grande pompe et avec les honneurs militaires, l'ancien Kapitan Loerke pour lui remettre l'ordre de la légion d'honneur, apposée juste à proximité de sa croix de fer !
[…]

Promu (en 1959) officier de la légion d'honneur.
Donc il devait être chevalier (de la L.H.) depuis bien avant.
Dès 1946 ?

Bonsoir

Non, ,j'ai eu beau chercher, il est devenu officier de la L.H en 59 sans être passé par chevalier.
En 1946, nous n'avions pas normalisé nos relations avec l'Allemagne, je doute que le gouvernement d'alors voulait donner des honneurs à l'ennemi d'hier avec des cicatrices aussi fraiches .
Historiquement la phase de réconciliation "active", c'est 1958, donc...

Pourriez-vous décrire votre processus de recherche pour cette histoire, s'il vous plaît ?

bonsoir

Déjà , un "bonjour" est le minimum requis pour obtenir une réponse, j'ai toujours eu du mal avec les personnes qui n'appliquent pas ces préceptes dans la vie de tous les jours.

Bonjour, je connais mieux les protocoles de la communauté anglophone où l'on parle habituellement directement, alors pardonnez un faux pas culturel. Je pense que votre histoire est fascinante et elle m’inspire à découvrir des histoires similaires. Je m'intéresse donc au processus par lequel vous avez effectué vos recherches, notamment aux sources que vous avez consultées. En introduction dans l'espace "nouvelles recrues", j'explique que je suis un journaliste britannique qui souhaite se lancer dans un projet visant à raconter l'Occupation et la Libération, ici en Normandie. Merci, Mike

Re bonsoir,

Merci de votre réponse, pas de soucis donc.
Le processus est relativement simple, j'ai lu par hasard cette histoire sur une ancienne revue que j'avais dans mes cartons de livre (type Historia magasine ou Historama, je ne me rappelle plus) . Cela racontait en quelques pages cet évennement.
Ensuite, processus classique je dirais, j'ai fait une recherche sur le net à partir des nom trouvés (Kapitan Loerke, navire General Bonaparte, sous marin Sportsman, Lt. Gatehouse Commandant Quéré etc.....) , et j'ai essayé de faire à partir de tout ça une petite synthèse sans prétention.
Voilà

Bonsoir,

Welcome Mike!

si vous allez sur les forums anglophones, il est courant que les intervenants n'usent que peu ou pas de formules de politesse.
Bravo pour le reportage, une histoire édifiante; c'est la première fois que je vois se côtoyer une Légion d'honneur et une Croix de fer.
Loerke a le sens de l'à propos : "Fait de guerre : Un Paquebot français avec une garde italienne, torpillé par un sous marin britannique; Les survivants sauvés par des allemands sur des torpilleurs français..."

Cordialement.

Bonjour,

Merci pour la présentation de cet intéressant post.

Merci à 113RI - Je suis encouragé d'apprendre que vous avez pu rassembler une histoire aussi merveilleuse sans avoir à trouver des documents historiques dans les archives. Merci d'avoir expliqué ! J'ai appris que la Troupe A du '24th Cavalry Reconnaissance Squadron Mechanized' est entrée à St Pierre Eglise le 21 juin 1944. Ma mission est désormais de retrouver des souvenirs photographiques, documentaires ou familiaux de cette journée. Bonne chance également pour toutes vos recherches.

Bonsoir

Merci pour cette intéressante histoire.

La page Wikipedia en allemand apporte qq éléments en plus notamment sur la carrière de Loerke

Loerke fait toute sa carrière dans la Reichsmarine puis Kriegsmarine au sein de la spécialité des Torpilleurs-Destroyers.
Avril 39 à juin 42 : 1er officier à bord du Destroyer "Hermann Schoemann"
Juin 42 : commandant du torpilleur "Möwe"
Août 42 : commandant du torpilleur "Jaguar"
Octobre 42 : commandant du torpilleur "Falke" successivement basé La Pallice puis à Brest à partie de février 43
Mars 43 : il est transferré en méditerranée au sein de la 4. Geleitsflotille à La Spezia et commande le TA11 (ancien Iphigénie français) puis la flottille entière à partir d'août 43/

01/04/43 : nommé Korvettenkapitän (capitaine de corvette)
19/05/43 : il reçoit la Deutsche Kreuz in Gold (croix allemande en or)
21/08/43 : commandant du destroyer Z39 (qui sera abimé par un bombardement le 23/06/44)
Août à décembre 44 : officier KM de liaison avec le Heeresgruppe Nord (groupe d'armée Nord)

Commentaires perso :
Sur la croix allemande en or : c'est une décoration se situant entre la croix de fer de 1ère classe et la fameuse croix de chevalier. C'est une décoration attribuée pour actes de bravoures, pas fréquemment décernée au sein de la Kriegsmarine

Sur la photo ou où on le voit recevoir la légion d'honneur des mains de l'amiral Nomy, la décoration portée juste après la croix de fer de 2ème classe est le Deutsche Olympia Ehrenzeichen (insigne d'honneur des olympiades allemandes, 2ème classe qui fut décernée 3364 fois, donc très rarement).

cf ce lien :
https://de.wikipedia.org/wiki/Deutsche_Olympia-Ehrenzeichen

Bonne soirée
Denis

Bonsoir Denis

Merci de ces intéressantes précisions !
Je sui ontent d'avoir sorti de l'oubli ce marin au sens de l'honneur certain

Bonjour
Une légion d’honneur à coté d’une croix de fer ça n’est en effet pas banal.
De plus une croix d’officier.
Pour un acte de bravoure il a pu passer rapidement de Chevallier à officier.
De plus les récipiendaires étrangers n’ont pas les mêmes prérogatives que les titulaires français. Il me semble que pendant un temps ils pouvaient accéder directement à un grade supérieur. Je ne sais pas si c’était le cas en 1956.
Il est décédé en 75, donc si la règle de 50 ans est respectée, son dossier sera consultable l’année prochaine.

Bonjour

Dans la réglementation de la LH pour les étrangers il n'est pas nécessaire de passer par chaque échelon.


"Article R128

Les étrangers qui se sont signalés par les services qu'ils ont rendus à la France ou aux causes qu'elle soutient peuvent recevoir une distinction de la Légion d'honneur dans la limite de contingents particuliers fixés par décret pour une période de trois ans.

Par dérogation aux dispositions de l'article R. 48, les étrangers bénéficiaires de ces distinctions ne sont pas reçus dans l'ordre.

Article R130

Lorsque les étrangers bénéficiaires des dispositions de l'article R. 128 résident à l'étranger, ils ne sont pas obligatoirement astreints aux règles de la hiérarchie des grades de la Légion d'honneur, ceux-ci leur étant conférés en considération de leur personnalité et des services rendus."

Merci Gwalchaved.
C’est bien ça, mais je ne sais pas si c’était la même chose dans les années 50.